vendredi 21 juin 2013

Un fantôme à guitare

Il faut croire que certaines histoires sont si belles que le cinéma peine à les inventer. Celle de Sixto Rodriguez est racontée dans Sugar Man. Le film a reçu cette année l'Oscar du meilleur documentaire. Il est arrivé sur nos écrans le 26 décembre, de façon assez confidentielle d'abord. C'est pourtant un très joli conte de Noël. Son incroyable héros est un Américain d'origine mexicaine, ouvrier du BTP dans le Détroit de la fin des années 60. Excellent musicien, l'homme sort deux albums en 1970 et 1971. On le compare même à Bob Dylan. Il retombe pourtant vite dans le plus complet anonymat. Enfin, en Amérique...

Au même moment, arrivée illégalement, sa musique devient l'hymne des milieux blancs d'Afrique du Sud hostiles à l'apartheid. Déjouant même la censure officielle, son succès s'apparente à celui des Beatles ou de Simon et Garfunkel. Sixto Rodriguez devient alors une légende. La rumeur veut que, frustré par sa condition, il se soit donné la mort au cours d'un énième concert raté. Il faudra attendre bien longtemps avant que l'artiste sache toute l'admiration qu'il inspire à l'autre bout du monde et que ses fans apprennent qu'il était toujours bien vivant depuis tout ce temps - une grosse quinzaine d'années ! Sugar Man revient cette rocambolesque histoire avec respect et empathie. Intelligemment, toutes les premières scènes du documentaire déroulent l'incroyable récit d'une quête de l'homme disparu. Il faut compter une bonne grosse demi-heure avant de le découvrir enfin. Fidèle à son image, il parle de lui avec une spectaculaire modestie.

Si ce que j'ai lu depuis est exact, la réalité est un peu moins belle. Sixto Rodriguez n'est certes pas un usurpateur, mais il ne serait pas non plus tout à fait l'artiste maudit que l'on présente ici. Le film pose la question de royalties non versées, mais pour mieux l'éluder ensuite, laissant pourtant entendre que le guitariste a jadis été spolié par un producteur véreux. En insistant aussi longuement sur sa gloire sud-africaine et son insuccès en Amérique, il évite également d'évoquer les bonnes ventes des albums et les deux tournées réalisées en Océanie en 1979 et 1981. Sugar Man est donc partiel... et partial. Je lui pardonne volontiers: le ton général demeure d'une humilité rare face à la distinction d'un musicien objectivement doué et méconnu. Point très appréciable, le cinéma n'est pas oublié. D'une vraie beauté formelle, le métrage alterne plans contemporains, images d'archives et séquences d'animation. Et puis, bien sûr, il y a cette musique...

Sugar Man
Documentaire anglo-suédois de Malik Bendjelloul (2012)

Oui, le réalisateur est scandinave, une preuve encore qu'il est possible de réussir loin de ses racines ! Je vous conseille grandement son film: malgré ses imprécisions, il apporte quand même du baume au coeur. En le regardant, j'ai très souvent repensé aux papys cubains du Buena vista social club. À ceux qui aiment plutôt les artistes incompris de la fiction, je conseille Killing Bono. Content toutefois d'avoir pu parler de Sixto Rodriguez le jour de la Fête de la musique.

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Un bon conseil de lecture...

La chronique de David ("L'impossible blog ciné") vaut le détour !

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