mercredi 6 février 2013

Philippe Bourgueil aux commandes

Si Une histoire d'amour m'a fait forte impression, c'est notamment par et pour sa qualité photographique. Le cinéma étant par essence un art du mouvement, il m'a semblé intéressant d'interroger quelqu'un qui aurait directement été placé en face de ces images. Le monteur du film, le Belge Philippe Bourgueil, a accepté ma demande d'interview. Je l'en remercie chaleureusement et lui laisse la parole.

Comment et pourquoi êtes-vous devenu monteur de cinéma ?
J'ai commencé par faire des études artistiques vers l'âge de 15 ans. J'étais plutôt orienté dessin et peinture. À l'école, l'un des professeurs nous emmenait souvent au ciné-club: c'est un peu comme ça que j'ai découvert le cinéma. Auparavant, je connaissais surtout James Bond, la septième compagnie ou les films de Pierre Richard. J'allais les voir avec ma mère. Et soudain, j'ai découvert un autre type de cinéma, qui m'a vraiment passionné. Je me souviens du choc qu'avait provoqué en moi Le mépris, de Jean-Luc Godard, mais je ne suis pas vraiment sûr d'avoir tout compris à ce que je voyais. Je me suis dit alors que c'était par là que se trouvait ma voie.

Et ensuite ?
J'ai fait l'Institut national supérieur des arts du spectacle, à Bruxelles. Je me suis inscrit au concours, à la fois en réalisation et en montage. La première année où j'ai passé l'examen, une vraie cata: on m'a même conseillé de ne pas me représenter, m'affirmant que je n'étais pas fait pour ça. Je ne me suis pas découragé pour autant et j'ai passé l'année à fréquenter la Cinémathèque, à lire des livres sur le cinéma... pour échouer de très peu la deuxième année. Je devais être 14ème ou 15ème alors qu'ils n'en prenaient que douze. On m'a proposé d'entrer en montage. Je ne savais pas trop ce que c'était exactement: à 18 ans, un métier de cinéma, on imagine surtout ça devant ou derrière la caméra. Il n'était pas question que je sois devant ! Le reste des métiers, je ne connaissais pas trop, mais comme beaucoup de réalisateurs disaient que le montage est l'art essentiel du cinéma, j'ai accepté la proposition. Je me disais en fait qu'une fois le pied dedans, je pourrai enfin expliquer que le montage ne me plaisait pas trop et que je voulais faire de la réalisation.

Mais finalement, vous êtes resté monteur...
Oui. Le premier exercice a achevé de me convaincre. De manière assez formidable pour commencer des études de montage, nous avions travaillé sur des rushs de Garde à vue. Le monteur du film, Albert Jurgenson, était notre professeur ! Même si nous travaillions sur du 16mm en noir et blanc, j'ai eu le coup de foudre, un vrai plaisir à faire ce montage. Grâce en outre à une petite expérience acquise du court-métrage, je commençais également à sentir que le travail en équipe était un peu moins mon truc. Le montage me ramenait à la solitude et au plaisir que j'avais à peindre. J'ai donc continué, fini mes études et j'ai saisi les premières opportunités, sans passer par l'étape assistant. Rapidement, un peu trop peut-être puisque j'avais 23 ans, je me suis retrouvé chef-monteur de longs-métrages...

Il ne semble y avoir aucune frustration en vous...
Par rapport à la réalisation ? Pas du tout. Encore moins du fait que, depuis 2-3 ans, quand j'ai un peu de temps, je m'amuse à réaliser de petites choses également. C'est vrai que ça me titillait un peu. Avec 25 ans d'expérience dans le montage comme moi, on est quand même bien placé pour savoir comment réaliser. Jeff Bodart, un de mes amis, décédé depuis, préparait un album et avait besoin de faire un clip. Je me suis lancé et j'ai vite vu que mon expérience de monteur me servait vraiment. Je savais d'emblée s'il fallait une deuxième prise. M'étant un peu préparé à l'avance, j'étais rassuré. Aujourd'hui, je n'ai pas du tout envie d'arrêter mon métier, mais j'ai parfois un peu de temps entre deux longs-métrages. Je trouve alors rigolo de créer de petits programmes comme ça. J'ouvre des portes différentes. Avec un autre ami, Charlie Dupont, on a aussi créé un programme sous forme de petites capsules de 15 secondes, qui s'appelle Qui est là ?

Nous en reparlerons plus tard, si vous voulez bien. Pour rester d'abord sur une question assez générale, diriez-vous qu'il existe une école belge du montage ?

S'il y a une vraie école du montage, elle est pour moi américaine. Les films du haut du panier sont si bien montés que j'ai l'impression que c'est à chaque fois par la même personne. Je ne crois pas qu'il y ait une école en Belgique. Pour ça, il faudrait encore qu'il y ait du style ! Au risque de me faire quelques amis, je n'en perçois pas beaucoup dans les montages que je peux voir.

C'est sévère !
Oui, sans doute. Quand j'étais à l'école, j'ai croisé deux professeurs fondamentaux pour ma formation: Alain Jurgenson dont on parlait tout à l'heure, capable de monter aussi bien les films de Gérard Oury que ceux d'Alain Resnais, et Henri Colpi, qui a travaillé avec Resnais également et eu une Palme d'or comme réalisateur. Je ne veux pas aller trop loin: faire un blind test de monteur, c'est difficile ! Mais ces deux-là avaient une patte, une cohérence dans l'ensemble de leur travail. Je n'en vois pas autant dans le cinéma belge et je n'en vois que peu souvent dans le cinéma français.

Venons-en à Une histoire d'amour, premier film d'Hélène Fillières. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Tout à fait par hasard. Je suis très ami avec Benoît Poelvoorde. C'est le parrain de mon fils. Un jour où j'étais à Paris et que nous avions prévu de nous voir, il devait dîner avec une réalisatrice et m'a proposé de les rejoindre. Il y avait donc Benoît et sa femme, Hélène et son compagnon Mathieu Tarot... on a juste passé une soirée à boire des coups et à rigoler, sans parler de montage. Il y a eu un bon feeling. Hélène n'ayant pas de monteur, elle m'a rappelé, on a mangé ensemble... la manière dont elle a parlé de son film, habitée d'une réelle passion, m'a beaucoup plu. Un premier film, qui plus est sur un tel sujet, c'est un énorme risque, et j'ai eu envie de parier là-dessus. Je me suis dit que, si Hélène parvenait à faire le film dont elle me parlait, ce serait une superbe expérience. Et ça l'a été ! Hélène est quelqu'un de bien. Elle avait une idée précise de ce qu'elle voulait, mais restait à l'écoute. Quand un réalisateur dit qu'il faut faire comme ça et pas autrement, c'est frustrant pour un monteur, mais aussi dommage pour lui: il s'empêche d'avoir un premier avis extérieur. Hélène a rendu la partie créative du travail très agréable. Et puis, je n'avais jamais vu Benoît comme ça ! J'ai plaisir à monter une matière avec des comédiens qui jouent bien ! La figure classique du champ/contrechamp, si elle ne paraît pas la plus passionnante, permet au monteur de devenir le vrai metteur en scène.

Aviez-vous lu le scénario avant d'accepter de monter le film ?
Oui, bien sûr. Surtout sur un premier film, c'est important de savoir un peu où on met les pieds. Il m'est arrivé une fois de ne pas le faire. C'était pour Les convoyeurs attendent. Je n'avais jamais essayé et je voulais savoir ce que ça faisait. Le réalisateur, Benoît Mariage, étant un ami, je n'avais aucun doute sur mon envie de faire le film. Mais autrement, je le fais toujours. Sinon, c'est un peu compliqué: je n'ai pas envie de partir à l'aveugle sur un film. Et il m'est déjà arrivé de refuser un projet après avoir lu le scénario. Il est d'ailleurs fréquent que les réalisateurs demandent un premier avis. Comme les budgets demandent souvent aux réalisateurs ou scénaristes de resserrer les boulons avant le tournage, ils aiment bien avoir l'opinion du monteur, susceptible de repérer quelques moments un peu mous et de dire que telle ou telle scène n'est pas forcément très utile.

Le fait qu'Hélène Fillières fasse ses débuts comme réalisatrice vous a-t-il inspiré une approche un peu différente ?
Non, pas du tout. Je n'ai pas le sentiment qu'il puisse y avoir des approches différentes. Il y a des scènes à mettre en place, pour voir ensuite ce que ça donne, organiser l'histoire... c'est un peu la même méthode de travail à chaque fois, que le réalisateur soit débutant ou confirmé. Peut-être qu'il y a juste un peu plus de tâtonnements quand il s'agit d'un premier film, des choses moins bien prévues, moins clairement imaginées. Cette fois, nous avions une belle matière. Hélène s'était couverte. Nous en avions parlé avant. Elle m'avait posé beaucoup de questions et je lui avais conseillé de se laisser un maximum de portes ouvertes, de ne pas faire que des plans uniques. Les plans séquences, c'est bien, mais l'ennui est qu'on se retrouve vite coincé s'ils ne sont pas bons.

Ce qui veut dire que vous aviez beaucoup de rushs ?
Oui, pas mal, en effet. Maintenant, les tournages en numérique font qu'on est un peu plus souple de ce point de vue. Auparavant, les productions déterminaient souvent une quantité de pellicule vierge disponible avant le tournage et il fallait s'y tenir. Désormais, c'est moins souvent le cas et, en plus, on tourne souvent avec plusieurs caméras. Cela coûte moins: une carte numérique et voilà ! Comme c'était prévisible, on se retrouve avec davantage de matière.

Et vous, semble-t-il, vous préférez donc en avoir beaucoup...
Effectivement ! Plus c'est le cas, plus le champ des possibilités est vaste. Quitte d'ailleurs à ne garder qu'un plan à la fin, il est possible de chercher un peu plus. Le passionnant de ce métier, c'est justement toute cette recherche: comment raconter les choses, ce qui se passe si on met telle prise avec telle autre, toutes ces combinaisons...

À qui rendez-vous des comptes ? Au réalisateur ? À la production ? Aux acteurs, un peu ?
Ah non, sûrement pas aux acteurs ! On en rend d'abord à soi. Je suis le premier spectateur de mon travail. Avant de le montrer au réalisateur, je le regarde encore une fois et procède alors à quelques ajustements. J'en discute ensuite avec le réalisateur, qui peut être agréablement ou désagréablement surpris. On fait alors en sorte d'être bien d'accord sur la vision du film. On voit ensuite avec le producteur. En fin de travail, on peut aussi passer le film en salles, auprès d'amis et de spectateurs qui ne sont pas directement impliqués dans le processus de fabrication. C'est l'occasion d'identifier d'éventuelles faiblesses du récit. Il faut filtrer, ne pas tout prendre pour argent comptant, mais, notamment sur une comédie, c'est bien de savoir comment une salle entre dans le film. Après ça, le film vit sa vie et on découvre alors si les gens vont le voir... ou pas.

Y a-t-il une part personnelle que vous revendiquez, y compris d'ailleurs dans Une histoire d'amour ? Un petit côté Bourgueil ?
Je pense avoir une cohérence dans mon travail, une logique entre les différents films. Je ne coupe pas là où je coupe par hasard. Je recherche la plus grande souplesse possible. Sans vouloir paraître prétentieux, je dois dire que je m'habitue à entendre ce terme: on a souvent dit de moi que je recherchais une certaine élégance.

Ce film porte un regard particulier sur Benoît Poelvoorde. On a l'habitude de le voir s'exposer, mais là, il y va particulièrement !
Tout à fait. J'ai l'impression que de le connaître très bien, à la fois personnellement et comme comédien, rend mon regard un peu plus aiguisé. J'ai donc plutôt tendance à enlever des choses qu'on aurait déjà vues de lui. Notre relation me permet de conserver le meilleur de ce qu'il peut donner. Je crois que le film d'Hélène Fillières en est un peu la preuve. Son niveau de jeu est très haut. Je le dis là encore sans vouloir tirer la couverture à moi, mais le travail fait au montage sur la justesse du jeu des comédiens n'est pas négligeable.

Vous n'aviez pas peur d'aborder ce nouveau visage de votre ami ?
Honnêtement, la première fois que je l'ai vu se faire fouetter, ça m'a fait rire ! En même temps, c'est assez impressionnant, c'est vrai, parce que ce n'est pas faux: les coups de fouet, il les prend vraiment. Blague à part, ces choses-là, je ne les avais jamais vues. Il a encore sorti quelque chose de nouveau et, moi qui le connais pourtant vraiment bien, il m'a scotché !

Et Lætitia Casta, vous la connaissiez déjà ?

Non. Je n'avais jamais monté de film avec elle. Mon avis ? J'ai trouvé qu'il y avait de très belles choses dans son jeu d'actrice, que nous avons d'ailleurs essayé de mettre en avant. La qualité de son travail a été reconnue. Ce qu'il y a dans le film, ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est bien elle qui l'a fait. Le montage sert à dégager certaines choses à mettre en avant, mais je trouve qu'elle s'en sort plutôt vachement bien. Le niveau entre Benoît et elle est élevé. Avec Richard Bohringer aussi, d'ailleurs. Maintenant, sans dire que c'est la moindre des choses, ce n'est pas non plus très étonnant pour un film réalisé par une comédienne. Hélène Fillières est forcément attentive à ça sur le plateau.

Question de regard féminin ?
Oui, en plus ! C'est une femme, une comédienne... si les comédiens sont si bons dans son film, ce n'est certainement pas un hasard.

D'autres originalités dans le film, de votre avis de monteur ?
C'est difficile à dire: un film n'en est pas un autre. Il y a assurément une ambiance, liée notamment aux décors et à la lumière, au travail somptueux de Christophe Beaucarne. Il y a également la manière dont la caméra circule au milieu de tout ça. J'y vois une écriture, une patte assez particulière. Je n'avais jamais vu ça ailleurs, parce que jamais fait de film d'Hélène Fillières, et pour cause ! J'ignore s'il elle va transporter cette ambiance de film en film ou bien complètement changer pour le prochain, mais tout ça m'a eu l'air assez personnel.

J'ai pour ma part relevé un gros travail autour de la musique. Avec une interpénétration musique/image assez importante...
Je n'ai pas encore entendu le mixage définitif du film, mais je sais qu'Étienne Daho avait été contacté très tôt, avant même le tournage. Ce que je lui ai demandé, c'est de nous envoyer toutes les pistes séparées de ses musiques. On a alors pu faire un travail passionnant autour de la décomposition de ses morceaux. J'ai parfois sélectionné un instrument particulier, j'ai mis une musique à l'envers, j'en ai ralenti une autre... bref, un travail de sculpture, en quelque sorte. C'est assez chouette et inédit pour moi. Il est rare de disposer de ce genre de matière. Cette fois, la musique existait avant le film... c'est un peu l'inverse de ce qui se passe d'habitude, où le compositeur crée quelque chose à partir de l'image.

J'aimerais maintenant évoquer vos oeuvres passées. Vous avez notamment monté les deux derniers films de Jean-Pierre Améris, Les émotifs anonymes et L'homme qui rit. Qu'en retenez-vous ?
Que ça restera parmi mes plus belles expériences de montage ! Jean-Pierre est un mec formidable, un passionné de cinéma avec un vrai point de vue. Et en même temps, il reste à l'écoute. Je me suis senti très à l'aise au moment de lui proposer d'essayer certaines choses. Il était toujours le premier à vouloir y aller, tout en gardant un cap. Le montage, c'était donc un régal du début à la fin, avec la sensation de partager un objectif commun. Sur L'homme qui rit, on voulait éviter tout ce qui pourrait paraître trop littéraire et faire le film le plus court possible. C'est une bonne façon d'attaquer un montage que de se dire que le parcours le plus court entre deux points est souvent la ligne droite. On a voulu faire un film nerveux, ramassé, qui va droit au but. J'ai rarement été autant en symbiose avec quelqu'un dans le travail. C'était passionnant !

Le fait est que les films de Jean-Pierre Améris sont assez courts, en règle générale...
Les deux derniers, oui. Quand on ressert les choses, elles sont souvent meilleures. Avec son sens de la métaphore, Benoît Mariage a une très belle phrase là-dessus: "Le montage, c'est comme une sauce. Moins il y a d'eau, plus il y a de goût". Je trouve que c'est très juste. Quand on retire tout ce qui est inutile et qu'on emboîte tout ça correctement, on arrive à une certaine densité et c'est bien ce qu'on a recherché avec Jean-Pierre, en coupant beaucoup. L'homme qui rit dure une heure vingt, tandis que le premier montage devait approcher les deux heures. Même chose pour Les émotifs anonymes, avec une volonté de se concentrer essentiellement sur l'axe principal du film. Beaucoup de gens sont venus me dire qu'on ne voyait pas le temps passer et que c'était vachement bien comme ça. Sur Podium aussi, on a fait des choses comme ça: le premier montage devait durer deux heures et quart. Il reste une heure trente. Et on ne peut pas enlever trois quarts d'heure sans retirer des pans entiers du film. Si j'avais montré le montage du premier jour de notre travail à Yann Moix, je crois bien que j'aurais été viré. J'ai toujours dit ça en rigolant, mais je crois que c'est vrai. On est arrivé au résultat final après 4-5 mois de travail, en discutant, en constatant des choses... 

Les émotifs anonymes et L'homme qui rit sont vraiment deux films très différents. C'est aussi facile de couper dans les deux cas ?
Pour L'homme qui rit, on a conservé la construction originelle. Je crois qu'on n'a coupé que trois scènes, mais c'est plutôt à l'intérieur qu'on l'a fait - certaines sont même du coup deux fois plus courtes qu'à l'origine. Sur Les émotifs anonymes, le travail est un peu différent: il s'est agi d'une reconstruction, en changeant la structure. L'histoire reste la même, mais le début est par exemple très différent de ce qu'il était au scénario. Il y a eu beaucoup plus d'aménagements que pour L'homme qui rit, qui est, par la force des choses, un film très linéaire. Je vois assez mal comment ne pas démarrer sur l'enfance de Gwynplaine, sa rencontre avec Ursus... et puis là, il y a quand même un auteur ! Et un auteur qui n'est pas n'importe qui...

J'en reviens maintenant à Qui est là ?, série de courts-métrages que vous avez réalisés...
Tout part d'une époque où j'allais travailler à Paris. Je m'arrangeais pour prendre le train en même temps que Charlie Dupont. Nous avions l'intention de faire quelque chose ensemble, sans vraiment savoir quoi. Il m'a alors montré de petites choses faites avec des potes et je me suis dit que ça serait bien d'en faire de petites capsules. Assez naturellement, nous en sommes venus à la conclusion logique: en-dessous de quinze secondes, l'extrait des chansons choisies n'était pas reconnaissable, et au-dessus, ce n'était plus drôle. Une fois défini ce format, on s'est dit que ce serait comme ça et pas autrement.

Et ça vous a aidé ensuite pour votre travail de monteur ?
C'est surtout là que mon expérience de monteur m'a servi pour me concentrer sur l'essentiel. Ensuite, quand on a tourné, on a vu arriver quelques personnes, Benoît Poelvoorde encore... ou encore Justine Hénin qui est très amie avec ma femme, par exemple. Elles ont permis d'attirer l'attention et ça a vite buzzé. Ma femme ayant été chroniqueuse pour Les enfants de la télé, on a pu présenter notre travail à Arthur, lequel a bien voulu le coproduire et le diffuser dans Vendredi, tout est permis. Et c'est comme ça qu'on a fait une soixantaine de capsules, dont une partie est disponible sur Youtube. On en est désormais à plus d'un million de visualisations. Je n'en reviens pas ! Au départ, avec 10.000, j'aurais été content. Quand j'ai vu 30.000 la première fois, je me suis déconnecté: je croyais que le compteur déconnait ! C'était une plaisanterie pour rigoler avec des potes et, déjà, en ce sens, ça a marché. Je n'aurais pas imaginé atteindre un tel score. Pas une demi-seconde ! Justine nous a sans doute un peu servi de locomotive: les gens ne l'avaient jamais vue comme ça, alors que Benoît Poelvoorde, ils ont pris l'habitude de le voir faire le crétin. Pour moi, ça a aussi confirmé le plaisir à préparer un projet, à le planifier, à le tourner... plaisir différent du montage. C'est vraiment agréable de porter quelque chose du début à la fin.

Vous parlez de projets. Quels sont les vôtres à court terme ?
Actuellement, je suis déjà en train de monter le Angélique marquise des anges d'Ariel Zeitoun. Après ça, je ferai Akwaba, nouveau film de Benoît Mariage, de nouveau avec Benoît Poelvoorde. Le tournage a commencé il y a quelques jours. Par ailleurs, ma femme et moi attendons un deuxième enfant... je ferai donc une petite pause. Après, il y a d'autres choses, mais c'est un peu tôt pour en parler.

Réaliser un long-métrage, un jour, ça vous paraît encore jouable ?
Je ne sais pas. À l'heure actuelle, comme je le disais tout à l'heure, je n'ai pas envie d'arrêter mon métier pendant 2-3 ans, le temps nécessaire pour faire un long-métrage. Ce n'est pas impossible, disons, mais pas non plus complètement calé. Je sais juste que ma femme a commencé à écrire des choses. J'ignore si je travaillerais avec elle comme monteur, si on travaillerait ensemble...

Les monteurs sont des travailleurs de l'ombre. Un compliment vous toucherait-il particulièrement sur votre travail ?
Il y en a plein ! Les compliments, ça fait toujours plaisir ! Ce qui me touche, c'est quand les gens perçoivent ce qui me paraît essentiel dans un montage: de l'élégance et de la fluidité. Quand on vient ensuite m'en parler, je crois bien que c'est ce qui me touche le plus.

Et la reconnaissance de vos pairs ?
Je ne vais pas dire que c'est acquis... ou en plaisantant. Le regard de ma femme compte et je sais qu'elle regarde attentivement les films que je fais. Même si ce n'est pas son métier. Elle ne va pas forcément faire attention au montage spécifiquement, mais au film au sens large, et me dire avec le plus de sincérité possible ce qu'elle en pense. Il n'y a pas besoin de beaucoup la pousser pour ça. Ce qui m'importe aussi, c'est l'avis de mes amis les plus proches et notamment de quelqu'un dont on a déjà beaucoup parlé. J'ai beaucoup de respect pour son goût pour le cinéma. Quand il aime bien un film que j'ai monté ou me complimente, ça me fait effectivement très plaisir.

Une question sur le cinéma belge et sa cohabitation avec le cinéma français. Comment voyez-vous cette "entente cordiale" ?
Avec beaucoup de bonheur ! Je suis un peu comme ces personnages de westerns, dans une zone frontalière. Je ne suis plus vraiment belge pour les Belges et pas encore français pour les Français. En Belgique, on ne m'appelle plus vraiment. On se dit que je suis loin. Honnêtement, ça me désole même un peu d'avoir été si peu appelé ces dernières années par des cinéastes belges. Côté français, c'est plutôt une qualité d'être belge depuis les années 90. Avant, il ne fallait pas trop le dire, avec les blagues de Coluche notamment. Finalement, l'image du cinéma belge a beaucoup changé en France, avec Jaco van Dormael ou les frères Dardenne entre autres. Être belge, aujourd'hui, c'est plutôt un signe de qualité, oui, ou même de bon décalage. Les Français nous aiment bien, nous trouvent sympa. En Belgique, il n'y a pas cette hiérarchie qui existe dans la profession française. On dit les choses comme elles sont, on est tous potes... Benoît Poelvoorde en parle très bien dans une petite vidéo sur Youtube, où il explique les différences entre le cinéma belge et le cinéma français à partir de l'anecdote d'une voiture dans le champ de la caméra. Bref, ma zone frontalière me plaît bien... j'aime beaucoup ce mélange entre la Belgique et la France. Je ne voudrais pas vivre toute l'année à Paris, mais pas à Namur non plus. J'apprécie au maximum cette chance que j'ai de pouvoir travailler des deux côtés.

Sur le plan linguistique, en France, on diffuse très peu de cinéma flamand. On y a vu l'an passé Bullhead de Michael R. Roskam, mais c'est à peu près tout. Et vous ? Vous avez déjà pu travailler avec des cinéastes flamands ?
Pas du tout. La frontière, c'est plutôt là qu'elle se trouve ! Le cinéma flamand est beaucoup plus tourné vers le marché hollandais. Bullhead est sans doute sorti en France grâce au retentissement international qu'il a pu avoir. C'est effectivement très rare. Il n'y a qu'assez peu de films néerlandais à sortir en Wallonie. Pareil pour les films wallons en Flandre. La langue est quand même une barrière. Par ailleurs, les Flamands n'ont pas besoin de venir chercher des monteurs wallons: ils en ont chez eux ! Pour toutes ces raisons-là, je ne pourrais pas monter un film avec une équipe néerlandaise. Je ne maîtrise pas assez bien la langue. Ce serait trop compliqué. Notre culture wallonne est quand même latine et elle nous pousse plus vers le Sud que vers le Nord. Leur culture propre étant par ailleurs plutôt réduite, les Néerlandophones de Belgique parlent anglais, s'ouvrent naturellement vers les pays anglo-saxons ou l'Allemagne. Il y a là une vraie scission. 

Pour finir sur une boutade, et en guise de petit clin d'oeil cinéphile à ce film, Cowboy, de Benoît Mariage, je voulais vous demander s'il vous était arrivé de faire un plan de coupe avec une mouette...
Une ponctuation de plan, vous voulez dire ? Non, jamais, je crois.

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