jeudi 18 octobre 2012

La démarche de Benjamin Bardou

Vous avez regardé les courts-métrages de Benjamin Bardou présentés ici même mardi ? Je vous propose désormais de faire connaissance avec le réalisateur. Il me faut souligner que c'est lui qui m'a sollicité pour parler de son travail. Après m'avoir proposé d'apprécier son inspiration, il a également accepté de répondre rapidement à quelques questions par mail. Je vous présente aujourd'hui le résultat de cet échange à distance assez... inattendu.

Comment vous présenteriez-vous ?
Benjamin Bardou,  31 ans, de formation artistique. J'ai un intérêt très vif pour tout ce qui est relatif à la perspective et à l'architecture.

Votre site Internet présente vos travaux de
matte painting. C'est par ce biais que vous avez abordé l'écriture cinématographique ?
Après mes études, j'ai effectivement commencé à travailler, il y a dix ans, dans le secteur de la post-production comme matte-painter. Issue de la peinture sur verre, cette technique numérique est utilisée pour recréer des architectures ou décors superposés à des plans préalablement tournés.
 
Pourquoi vous être notamment tourné vers Paris dans chacun de ces courts-métrages ? Quelle image voulez-vous donner à la ville ?
Mon arrivée à Paris a été pour moi aussi bien un choc qu'une fascination. J'ai voulu comprendre le mystère qui entoure cette ville. Dans mes recherches, par le biais du graveur Charles Meryon dont je connaissais l'oeuvre, je suis tombé un jour sur le livre Paris, capitale du XIXème siècle, de Walter Benjamin. Désormais, il ne me quitte plus. Dans ce livre, ce philosophe majeur étudie l'émergence du capitalisme dans la capitale parisienne. Il utilise des catégories d'objets très originales, comme les passages parisiens ou bien encore le praxinoscope, pour montrer la dimension onirique que ceux-ci véhiculent. Il parle de fantasmagories. Il s'intéresse aussi au rôle de l'image et bien entendu aux débuts du cinématographe. Pour faire bref, ce livre a déterminé l'architecture de mon premier court-métrage, Paris, capitale du XIXème siècle. Je le vois comme une petite histoire de la perception urbaine. Comment les citadins de l'époque percevaient-ils la ville avant que les techniques de décomposition du mouvement existent ? C'est la raison pour laquelle ce film fait une sorte de généalogie des techniques de reproduction (photographie, chronophotographie, phénakistiscope, cinéma) en lien avec des lieux qui, pour moi, rentrent en résonance avec celles-ci. Par exemple, comment ne pas voir dans les grands magasins, avec leur architecture circulaire et cyclique, un prolongement du praxinoscope créé vers cette même époque ? Cela reste très hypothétique, mais je ne conçois pas le cinéma autrement que comme un instrument de recherche.

Votre processus créatif est-il long ?
Pour Paris, capitale du XIXème siècle, techniquement, le court-métrage a été très fastidieux à réaliser. La totalité des plans a été photographiée ou tournée en DV, excepté l'intérieur du début qui est une photographie du 19ème siècle. Ensuite, j'ai traité numériquement l'ensemble pour lui donner une patine ancienne. Mon but était de jouer sur les différentes époques et sur l'étrangeté, je dirais fantasmagorique, de l'image. Cela m'a pris environ trois années de travail. Je tiens à préciser que ce film est censé être projeté en boucle dans un espace de diffusion type exposition. L'idée est de concevoir une boucle parmi les autres cycles de circulation de la ville. En ce qui concerne le film Tableau parisien n°1, c'est un prolongement de mon intérêt pour Walter Benjamin. Cet auteur très complexe a abordé énormément de sujets avec une grande cohérence. Il a entre autres traité des thèmes de l'Histoire et de la mémoire. Et développé le concept d'image dialectique, qui me paraît très proche des réflexions sur le montage de Godard et de Pelechian.

D'autres courts-métrages vont-ils suivre désormais ? Un Tableau parisien n°2, par exemple ?

Les Tableaux Parisiens comporteront plusieurs parties qui pourront plus ou moins s'agencer, se superposer, un peu comme les époques qui sont montées/montrées dans ce film. Je pense que ce cycle sera assez vaste et qu'il aura pour but de détricoter ce qu'on appelle l'Histoire des vainqueurs. Le montage dialectique me servirait à redéfinir la notion du temps présent hérité de cette Histoire. Sinon, dans un autre ordre d’idées, je réalise et monte plusieurs vidéoclips. C’est pour moi une façon intéressante de confronter ma technique avec des réalisations sonores contemporaines.

Vous dites que Paris, capitale du XIXème siècle a vocation à être diffusé en des espaces type exposition. Est-ce déjà arrivé ? 
Non, Paris, capitale du XIXème siècle n'a pas encore été diffusé dans un espace d'exposition. J'ai pour projet de le projeter un jour dans un passage couvert parisien, là où ce cher Walter Benjamin aimait déambuler. Peut-être lors d'une Nuit Blanche à Paris...

Avez-vous déjà commencé à travailler sur une autre partie des
Tableaux parisiens ? Comment envisagez-vous la suite de ce cycle ?

En effet, le Tableau parisien n°2 est en chantier. Le cycle suit le mouvement de compression (N°1), expansion et collision. Comme une histoire des masses au XXème siècle prolongée par le XXIème. Je ne pense pas m'arrêter à ces trois parties. J'ajouterai sans doute des post-scriptum ou des annexes. Je vois ce cycle comme un tableau de Paul Klee: une mosaïque de cellules qui peuvent se croiser, se superposer et faire naître un sens différent en fonction de leur configuration.

Vous dites vouloir "détricoter l'Histoire des vainqueurs". Est-ce donc à dire que vous voulez délivrer un message particulier ?
Sans doute. J'ai une conviction politique comme tout un chacun. Choisir et confronter deux images entre elles est avant tout politique, mais la troisième image qui peut en surgir ne peut être imposée. Cela viendra de la sensibilité du spectateur, d'une résonance avec son vécu et sa mémoire. J'avoue que cela reste une supposition. C'est pourquoi je tâtonne, j’expérimente à chaque fois que j'utilise ou non des séquences. Au final, il faut que les photogrammes collent.
 
Vous parlez de perception, d'onirisme, de fantasmagorie. Jusqu'à quel point le cinéma se détache-t-il d’après vous du réel ? Peut-il alors tout (ré)inventer ?
Je ne suis pas particulièrement adepte de cette idée commune que le cinéma doive faire rêver. Cette idée de rêve est sans doute un héritage des fantasmagories du capitalisme triomphant et fascinant du XIXème siècle. Cela expliquerait que ce septième art si prometteur ne soit devenu qu'un divertissement parmi les autres. Bien entendu, le cinéma peut tout réinventer, mais pour cela, il faudrait véritablement un renouvellement des formes. Je pense par exemple aux années 20 et aux théories russes sur le montage. Aujourd'hui, il y a des choses dans le cinéma expérimental. C’est plus ou moins intéressant.

Vous évoquez votre intérêt pour la perspective et l'architecture. Que pensez-vous du relief au cinéma ? De l'usage de la 3D ?

Le cinéma en relief est jeune. Pour l'instant et pour avoir déjà travaillé sur ce genre de production, le résultat me paraît plutôt navrant. Là encore, les producteurs et les réalisateurs sont très paresseux. Mais il y a de l'espoir : c'est nouveau ! Nous pouvons donc créer des formes nouvelles. Je pense qu'un producteur intelligent ressortirait en relief  En présence d'un clown de Bergman, car le sujet s'y prête magnifiquement. Ensuite, le prochain Godard, Adieu au langage, en relief, sera sans doute très intéressant. Je suis curieux de savoir comment le maître du montage va aborder cette (ancienne) technique.

Quelle importance accordez-vous aujourd'hui à Internet dans la diffusion des images ? Est-il pour vous un outil incontournable ?
La miniaturisation des appareils permet de réduire les coûts de production. Internet réduit ceux de diffusion. C'est donc un réel progrès. Néanmoins, les vieux réflexes issus de l'ancien système de production/diffusion sont encore présents sur le réseau. Il reste difficile d'avoir accès à des revues traditionnelles dites spécialisées pour se faire connaître. Celles-ci restent prisonnières de la sortie en salle des films, qui arrive à un niveau de fréquence totalement saturé. Cela rejoint ma thématique du film Tableaux Parisiens qui traite du temps présent. Cette manie de vouloir traiter de films le jour de leur sortie ou même en avant-première est symptomatique. Ici, pour plaisanter, je détournerais bien une phrase de Steiner en disant : "Ce n'est pas le présent qui nous domine. Ce sont les images du présent". A contrario, d'autres sites tels que le vôtre tirent leur épingle du jeu. Grâce à eux, un cinéma différent et nécessaire survit.
 
Jusqu'à quel point le regard d'autrui sur votre travail compte-t-il pour vous ? Les échanges que vous pourriez avoir avec le public influent-ils sur votre travail ?
Je n'ai pas particulièrement d'échange avec le public. Mon travail reste assez confidentiel. Mes films ont assez peu été diffusés lors de festivals. Et de toute manière, le public n'existe pas. Il n'y a finalement que des individus.

Est-ce que vous prenez plaisir à voir du cinéma plus "conventionnel" ?

Je regarde beaucoup de films dits conventionnels en DVD, mais rarement des films contemporains. Je trouve le cinéma d'aujourd'hui très en retard par rapport à ce qu'il devrait être. J'ai l'impression d'avoir affaire à un cinéma encore très académique, comme si c'était l'Ecole de David qui avait gagné et que les Romantiques n'avaient jamais existé. Je vais rarement au cinéma. En payant dix euros ma place à Paris, je m'attends toujours à ce qu'on me donne le DVD du film avec. Par contre, j'ai été emballé par le dernier de Carax ou encore et toujours par les derniers films de Godard. Ses Histoire(s) du cinéma sont pour moi les plus grands films de la fin du XXème siècle. J'attends donc avec impatience ceux du nouveau.

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